L’un des plus grands scientifiques du vingtième siècle est Français, il est mort en 1995, à Paris, il y a vingt cinq ans. Presque méconnu en France, il est considéré dans le monde anglo-saxon comme l’un des plus grands scientifiques de tous les temps, à tel points que certains considèrent que si la médecine traditionnelle a été fondée par Hippocrate, la médecine moderne, la médecine « deux point zéro » a été fondée par Henri Laborit.
En France, un nombre limité de gens connaissent sont nom, généralement à cause du film « Mon oncle d’Amérique » qu’Alain Resnais a réalisé en 1979 pour faire connaître ses travaux concernant le fonctionnement du cerveau et la biologie des comportements, mais peu de gens connaissent réellement ses découvertes et l’étendue de ses apports à la science. Fait beaucoup plus grave, depuis plusieurs dizaines d’années, les étudiants en médecine n’en entendent jamais parler.
En 1974, jeune informaticien, je cherchais des références de pensée rigoureuse, pas forcément scientifique, pour étayer des méthodes d’analyse et de programmation quand un de mes collègues m’a fait découvrir ses livres de vulgarisation. Celui qui venait de paraître, « la nouvelle grille », nous expliquait le fonctionnement de notre système nerveux central dans une approche globale, par niveaux d’organisation depuis l’espèce humaine, les groupes sociaux, les individus, les systèmes, les organes, jusqu’aux cellules avec leurs échanges moléculaires. Ce Livre est devenu immédiatement l’un de mes livres de chevet.
Par la suite, lors des quelques séjours que j’ai fait en milieu hospitalier, j’ai interrogé les internes, aucun n’en avait entendu parler pendant ses études. Parmi le personnel soignant, bien peu connaissent son nom ou ses travaux, y compris au CHS Esquirol, l’hôpital psychiatrique de Limoges, où il existe pourtant un pavillon « Henri Laborit ». J’interroge encore les internes en stage auprès de mon médecin traitant, la réponse est toujours la même : « jamais entendu parler de lui ».
Sans parler du Canada où il a fait de nombreux séjours, en Belgique et au Luxembourg ses apports à la sciences font aujourd’hui partie des programmes scolaires, y compris dans les plus jeunes classes. Ici, il n’est même pas mentionné dans les études de médecine ! Pourquoi cet ostracisme ? Parce qu’il dérange, bien sûr, parce qu’il n’appartenait pas à l’élite, il n’est pas titulaire du « permis de chercher » réservé aux bons élèves des facultés prestigieuses, quand ils sont devenus d’éminents professeurs bien respectueux des hiérarchies établies, attentifs à ne pas piétiner de plates-bandes hors du champs étroit de leur spécialité. Alors que lui, il cherche, sans attendre d’avoir l’âge, sans demander la permission, sans se conformer aux usages, et il cherche à plusieurs, en groupe pluridisciplinaire, du travail collaboratif de recherche ! Et non seulement ce groupe cherche, mais il trouve ! Il enchaîne les découvertes qui sont reçues comme des affronts parce qu’elles viennent contredire la science officielle. Et lorsque cette science officielle voudra mettre fin à ces outrages en coupant tous leurs crédits de recherche, elle sera dans l’impossibilité de le faire, son laboratoire s’était auto-financé depuis que la première découverte avait été étouffée dans l’œuf par l’industrie pharmaceutique.
Fils d’un simple médecin des troupes coloniales issu d’une famille désargentée, il naît en 1914 et a 6 ans lorsque son père meurt à l’age de 31 ans, alors que sa mère attends un deuxième enfant. Son enfance va se dérouler dans la gène. C’est donc tout naturellement qu’il deviendra médecin militaire, d’autant plus que l’école militaire subvient à ses besoins pendant ses études de médecine qu’Il n’aurait pas pu entreprendre par la voie universitaire. Passionné par la mer, il va choisir l’école de Santé Navale.
Il obtient son doctorat de médecine et s’oriente vers la chirurgie, mais la guerre va interrompe son cursus et il sera affecté comme médecin de bord sur différents navires. Lors de l’évacuation de Dunkerque, son bateau va être coulé, le bilan sera de 875 morts et 160 survivants, dont il fait partie. Plus tard, lors d’une escales à Dakar, il croisera l’un de ses condisciples de l’école navale qui lui conseillera de venir le rejoindre comme bénévole à l’hôpital civil local pour ne pas perdre sa technique chirurgicale en attendant le rétablissement de l’examen de chirurgie à la fin de la guerre. Il va s’y plonger avec frénésie, sans doute pour surmonter le traumatisme du naufrage. Il ne souhaite plus naviguer et demande à rester à terre. Fin 1945, il est affecté, comme chirurgien à l’hôpital naval de Toulon.
Son service reçoit de nombreux blessés des opérations de déminage, la mortalité est très élevée. Bien sûr, l’explosion d’une bombe de plusieurs centaines de kilos laisse rarement des survivants parmi les démineurs, mais quand un détonateur a été retiré, il arrive qu’il leur explose dans les mains. La blessure engendrée est une main ou un pieds arraché. De tels accidents arrivent dans l’industrie ou dans l’agriculture, mais l’issue est rarement mortelle.
Laborit comprends que c’est l’état de choc qui tue. Il s’en ouvre au pharmacien chimiste qui dirige le laboratoire de pharmacologie de la marine de Toulon. Pour faciliter leurs échanges, celui-ci va refaire complètement la formation de Laborit en chimie moléculaire et en biologie. ils vont découvrir que le nœud de l’énigme se situe dans le cerveau du patient, mais la première molécule efficace qu’ils confient à l’industrie ne sera jamais produite. Ils découvrent une deuxième molécule faisant rapidement sortir le blessé de l’état de choc et du risque mortel associé, mais ils déposent eux-même le brevet. C’est un traitement que les services d’urgences du monde entier utilisent encore. Comme à cette occasion Laborit a mis au jour des mécanismes de régulation biologiques et qu’il a testé de nombreuses molécules, il va chercher si elles sont susceptibles d’avoir des applications dans d’autres domaines. Et les découvertes s’enchaînent et révolutionnent l’anesthésie, alors il n’est pas anesthésiste, puis l’obstétrique, sans être obstétricien, et bientôt la psychiatrie, sans être psychiatre, avec le premier neuroleptique ! Il recevra pour cette découverte le prix Albert Lasker, (le prix « Nobel » de biologie). C’est à ce moment là que l’académie de médecine française décide de lui couper les vivres. Ensuite, par deux fois et pour des travaux différents, l’Académie Royale de Médecine de Suède, le choisit pour recevoir le prix Nobel de Médecine, mais à chaque fois le gouvernement Français, à la demande de la faculté de Médecine et du lobby pharmaceutique, envoie des émissaire pour empêcher que le prix lui soit décerné.
Pour moi, son apport majeur est constitué par la suite de ses travaux qui ont porté sur le fonctionnement de notre système nerveux central et sur la biologie des comportements.
Le cerveau reptilien qui gère les pulsions vitales, boire, manger, se reproduire et les situations d’urgence, lutter fuir ou « faire le mort ». Le système limbique, la mémoire qui agit, le néocortex, siège de la conscience et de l’imaginaire, mais aussi le circuit de la récompense et celui de la punition. L’inhibition de l’action comme cause des agressions auto-immunes.
Alors que l’imagerie médicale n’existait pas, les développements des neurosciences ont validées toutes les hypothèses scientifiques qu’il avait formulées, en particulier sur le rôle de la « névroglye », la matière blanche du cerveau.
Le derniers congrès international de sciences cognitives a choisi, pour conclure son rapport final cette citation d’Henri Laborit :
« Un cerveau, ce n’est pas fait pour penser, c’est fait pour agir ».